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Publié le 07 avr 2020Lecture 6 min

Réponse innée exacerbée et adaptative effondrée : une clé physiopathologique des COVID-19 graves ?

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Un syndrome inflammatoire marqué et un « orage cytokinique » ont été rapportés dans les formes graves de COVID-19. Peut-on parler d’une réponse inadaptée du système immunitaire à l’invasion virale, et si oui pourquoi ? Éric Tartour, chef du service d’immunologie biologique à l’Hôpital européen Georges Pompidou (HEGP, Paris), répond à nos questions.

Revue Vision : Sur le plan immunologique, qu’avons-nous appris des précédents coronavirus pathogènes, SARS-CoV et MERS-CoV qui pénètrent également par voie respiratoire ? Éric Tartour : Ces deux virus sont à l’origine d’infections plus graves, mais ils sont certainement moins transmissibles car les épidémies qu’ils ont provoquées ont été rapidement circonscrites. Sur le plan de la réponse inflammatoire et immunitaire, il existe des analogies entre le SARS-CoV-2 et ces précédents virus, mais aussi des spécificités documentées par une une quantité d’études beaucoup plus importante que nous n’en avions pour les deux autres. Revue Vision : Quel est le rôle de l’immunité innée en tant que première ligne de défense contre les coronavirus ? Éric Tartour : Dans une maladie comme la grippe, l’immunité innée est une réponse immédiate médiée par cellules telles que les macrophages, les cellules NK et les neutrophiles. Son rôle est aussi d’alerter l’immunité adaptative, celle qui confère une mémoire de l’infection à long terme. Dans le cas du COVID-19, cette immunité adaptative apparaît « retardée », elle n’est pas présente à la première semaine d’infection alors que c’est elle qui peut contrôler le virus. Ce délai pourrait d’ailleurs expliquer l’aggravation observée chez certains patients en moyenne au 7e-8e jour de la maladie. Outre ce « retard », dans les 15 % des cas où l’évolution de la maladie est défavorable, on constate une diminution de l’intensité de cette réponse adaptative avec une lymphopénie, qui se traduit sur le plan architectural par une atrophie ganglionnaire. De façon concomitante, la réponse innée est amplifiée avec des bursts de cytokines et protéines inflammatoires, notamment la CRP, IL-6, IL-1 et TNF-alpha, IL-17. Il semble qu’une stimulation très importante des lymphocytes T et leur hyperactivation peuvent aboutir à leur mort cellulaire. Cette mort des LT responsable de la lymphopénie peut expliquer l’absence de contrôle du virus par l’hôte dans les formes sévères de la maladie. Dans ces cas graves on constate également une hypercoagulopathie et des lésions endothéliales évoquant des tableaux de vascularites. On voit donc un double phénomène : une expansion de l’immunité innée et un défaut de l’immunité adaptative essentiellement des lymphocytes T notamment LT-CD4. Revue Vision : Quelle est la conséquence de l’effondrement des lymphocytes T (LT) dans ce mécanisme ? Éric Tartour : il est possible que certains phénomènes de régulation mettant en jeu des lymphocytes T régulateurs (Treg) soient altérés car ces cellules sont aussi diminuées au cours des formes graves de la maladie. Il est à noter qu’il existe une augmentation de molécules suppressives (récepteurs solubles de l’IL-2, de l’IL-1, de l’IL-10), mais qui ne semble pas efficace pour réguler cette inflammation. Une autre hypothèse est que la production exacerbée des cytokines inflammatoires pourrait être liée à une orientation Th17 des lymphocytes. Certaines cytokines et récepteurs solubles comme l’interleukine-6 (IL-6), l’IL-10, certains récepteurs solubles et les inhibiteurs de l’IL-1, ont aussi un rôle immunosuppresseur. D’autres cytokines et chimiokines, comme l’IL-2, l’IFN-gamma, l’IL-17, le CXCL10 sont à l’origine d’une activation, notamment macrophagique et lymphocytaire. Cette activation se traduit notamment par une infiltration macrophagique dans les lésions pulmonaires. Nous avons maintenant une photographie assez précise de la réponse immunitaire dans les formes graves de COVID-19, il reste à en comprendre les ressorts. Revue Vision : Au-delà de la lymphopénie, quels sont les autres marqueurs biologiques d’une évolution péjorative ? Éric Tartour : L’élévation de la CRP, de l’IL-6, de la procalcitonine, du taux de prothrombine, des D-dimères, de la troponine cardiaque, de la LDH, de la ferritine et du rapport neutrophiles/lymphocytes (NLR) sont aussi associés à des formes sévères de COVID-19. Revue Vision : Quels sont les essais en cours avec des anticytokiniques ? Éric Tartour : L’essai CORIMMUNO dont la phase d’inclusion de 120 patients est en train de s’achever, doit évaluer un antirécepteur IL-6 (le sarilumab) dans la prise en charge de ces formes graves. Une autre étude d’intervention est actuellement en cours en Italie avec un autre Ac monoclonal anti-IL-6R (tocilizumab), quant aux données chinoises, qui sont plutôt favorables, le petit nombre de sujets inclus, environ une vingtaine qui n’étaient pas tous en réanimation, est trop faible pour conclure. Nous devrions avoir rapidement les premiers résultats français. Une autre cible thérapeutique est l’IL-1, un essai se met donc en place avec l’anakinra, et d’autres études visent le TNF-alpha et l’IL-17. Ces traitements ont déjà été utilisés et ont fait leur preuve dans d’autres pathologies, nous connaissons donc leur toxicité, ce qui permet d’accélérer les protocoles par un repositionnement thérapeutique de ces drogues. Tous ces traitements « anti-cytokines » visent à diminuer cette inflammation exacerbée. Par ailleurs des associations antiviraux/interféron-alpha sont également évalués, l’IFN-alpha pouvant être considéré comme un antiviral inné. En effet, un autre modèle physiopathologique serait une production trop faible d’interféron-alpha, au début de la maladie, puis une exacerbation secondaire conduisant à une aggravation des lésions. Une troisième piste est de remédier à la baisse de l’immunité adaptative en stimulant les LT par de l’IL-2 ou des anti-PD-1, mais il existe alors un risque d’augmenter l’inflammation déjà exacerbée, il faut donc être très prudent sur le plan clinique. La stimulation des LT peut en effet booster la réponse inflammatoire, avant même qu’ils ne soient efficaces contre le virus. Revue Vision : Cette réponse immunitaire particulière peut-elle expliquer la vulnérabilité au COVID-19 selon les âges ? Éric Tartour : Les personnes âgées sont plus exposées aux formes graves et on sait qu’elles répondent moins bien aux vaccins, qu’elles ont une immunité amoindrie. Il existe peut-être un lien entre une réponse lymphocytaire retardée et altérée tant sur le plan quantitatif que qualitatif, et un mauvais contrôle de l’infection. En revanche, les enfants ont une bonne immunité, ils maîtrisent des infections virales à répétition, sont stimulés par les vaccinations, ce qui expliqueraient que leur risque est très faible. C’est pourquoi un vaccin serait une très bonne solution chez les personnes âgées. Revue Vision : Si nous avons de nouvelles vagues épidémiques et que le virus mute, le vaccin sera-t-il toujours protecteur ? Éric Tartour : Contrairement au virus de la grippe, ce ne sont pas des virus qui mutent rapidement. D’une part, il existe des homologies structurales entre les coronavirus, notamment des récepteurs qui sont assez proches. Les anticorps neutralisants pourraient croiser entre différentes souches virales de coronavirus. L’orage cytokinique et la lymphopénie sont associés à la sévérité du COVID-19. Comparés aux sujets non infectés (à gauche), les cas de COVID-19 modérés se traduisent par une augmentation de l’IL-6 et une diminution des LT, en particulier le CD4+ et CD8+. Dans les formes sévères, on constate une production accrue d’IL-6, IL-2R, IL-10 et TNF-alpha, tandis que les LT, en particulier le CD4+ et CD8+ et l’INF-gamma sont très abaissés. Le degré d’orage cytokinique et de baisse des LT sont corrélés aux lésions pulmonaires, à la détresse respiratoire et à un pronostic péjoratif. D’après Pedersen SF, Ho YC. SARS-CoV-2: a storm is raging. J Clin Invest 2020, https://doi.org/10.1172/JCI137647

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